A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Nous sommes enfin descendus du bateau. Je porte dans mes bras un homme dans mes bras. Toi. Toi qui a une odeur que j’adore qui me semble si puissante que je pourrais être capable de te vider de ton sang sur le champ. Toi qui est couvert de sang, un bandage rougit sur ton œil blessé. Toi que je veux voir disparaître bien que je ne te connaisse pas. Toi qui remues en moi des émotions et sentiments que je ne veux pas avoir à ton égard. Toi que… que… que je veux voir partir loin de ma vie ! Merde ! Mais comment en est-on arrivé là ?!!

Je me rappelle que je voyageais comme j’en ai pris l’habitude depuis quelque temps. Un voyage que je veux pour m’éloigner le plus possible de cette île, cette patrie, que je déteste. Non, que je hais jusqu’au plus profond de mon être ! Et, d’un autre côté, peut-être un peu malgré moi, j’espère pouvoir retrouver Damian. Le revoir malgré sa mort si récente. Son absence me rend fou. Autant que mon impuissance sempiternelle. Avant, c’était contre la mafia. Maintenant, contre ma nature. Celle qui m’a fait sauter sur toi qui passait simplement devant moi. Je ne sais pas exactement ce que j’ai fait, mais je peux le deviner. Ce n’est pas vraiment difficile lorsque je vois l’une de mes mains couverte de ton sang et l’état de ton œil. La grande question serait pourquoi diable j’ai fait ça ? J’ai juste senti une bonne odeur avant de perdre complètement la tête. Et maintenant je me retrouve avec un futur maccabée sur les bras avec qui je sens un lien. Un lien qui rend mon vampire à la fois joyeux et anxieux. Pourquoi bon sang ?! Qu’est-ce qu’il a fait hormis le mordre pour qu’on puisse se nourrir ?! Et pourquoi se nourrir maintenant alors que je viens de le faire ?! C’est du grand n’importe quoi ! Et si seulement c’était fini… Comme si tout ça ne suffisait pas, cet abruti de vampire veut faire plus que ça maintenant ! Et moi, je veux m’en défaire. Sur-le-champ ! Deux envies contradictoires qui n’ont aucune autre conséquence de faire remuer le renard qui me murmure à l’oreille sa volonté de sortir. Il me promet de me débarrasser de ce poids mort. Il me jure de me faire vivre sans que j’ai à supporter plus longtemps mon vampire. D’un autre côté, je suis certain qu’il fait le serment de faire “la seconde étape” dans la foulée. Il y aurait de quoi contenter tout le monde si on venait à l’écouter. Comme si je me laisserai duper !

Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas le laisser comme ça. Impossible. Ca ne m’aurait pas laissé faire. Aucun des deux à leur manière. Pourtant, j’ai tellement envie de m’en débarrasser ! Je n’ai donc qu’une seule option qui me déplaît d’autant plus puisque ça me met en danger. Abruti ! Pourquoi t’étais là ?! Bref… C’est ce qui nous amène à Ananéosi, la ville que je hais de tout mon être. La nation qui m’a fait souffrir et qui a voulu ma mort plus d’une fois. Celle qui a tué toutes ces personnes contre ma survie. Et ils n’en ont pas terminé puisque, maintenant, ils ont décidé de tout me mettre sur le dos et que s’ils venaient à m’attraper je serais jeté en prison. Cette prison dont on ne sort pas. C’est tellement injuste !! Te rends-tu compte des risques que je prends pour toi ?! Heureusement, je suis parvenu à la maison de ma sœur et sa famille sans croiser personne. Vive la nuit à la surface ! Et, devant la grille, Minhea semble attendre. Cela ne m’étonnerait pas qu’il ait senti mon odeur et celle de ton sang. J’ai une vive idée en tête et je sais que ça déplaît à ce vampire de pacotille qui refuse catégoriquement que je le fasse. Pourtant, je ne lui laisse pas le choix et je te laisse dans les bras de mon aîné en annonçant de manière catégorique :



J’aurais préféré ne pas être si froid avec lui alors qu’il a beaucoup fait pour moi, et beaucoup perdu aussi. J’aurais aimé que cette visite soit de courtoisie et non à cause d’une nouvelle urgence. Et, surtout, j’aurais préféré ne pas t’emmener avec moi ! Tu es une personne que je ne voulais pas dans ma vie. Que je ne veux pas plus maintenant qu’il y a quelques heures. Et Minhea est le seul à pouvoir m’aider à défaire ce que mon vampire a initié contre mon gré. De même qu’il sera plus à même de te prendre en charge contrairement à moi, surtout dans mon état. J’ai l’impression de perdre la tête comme lorsque j’ai perdu Damian. C’est pourquoi il vaut mieux que je m’éloigne de toi. Le mieux serait même que je m’enferme dans une pièce et que je n’en sorte pas jusqu’à ce que j’aille mieux, jusqu’à ce que tu t’en ailles. Alors, j’entre et me dirige vers la porte d’entrée dans l’espoir de me faufiler dans une chambre, de préférence celle que j’avais avant de partir en voyage.

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Minhea ne m’a pas arrêté, alors que je me dirige à grands, très grands pas, dans cette chambre qui a été la mienne deux ans plus tôt. Je veux m’éloigner de cette personne inconnue le plus rapidement possible, ne plus sentir son odeur et que finalement ce… ce… lien… soit supprimé. Que je ne ressente plus ces envies qui ne sont pas les miennes !
Bien sûr que tu le veux. Comment pourrais-tu ne pas le vouloir ? Cette personne est si belle, si lascive… Toutes les filles doivent le vouloir dans leur lit, alors peut-être même les p’tits gars comme toi~ Mais si c’est trop dur pour le puceau que tu es, je peux t’aider. Tu n’as qu’à me laisser sort-
Sans le laisser continuer, je me frappe violemment la tête du poing au niveau du front, juste entre les deux yeux. Je lui réponds alors dans un marmonnement menaçant :



Je l’entends ricaner dans ma tête alors que le vampire s’agite. Je sais ce qu’il veut. Voir cette personne, le prendre contre lui et… faire ce que le démon pense que je n’ai jamais fait. Il se trompe. A moitié. Mais, quoi qu’il en soit, il est hors de question que je fasse ce genre de choses avec quelqu’un d’autre que Damian ! Il en est hors de question ! Jamais ! Seul Damian devrait être proche de moi de cette manière !

Comme un lion en cage, mon chapeau dans une main, je passe l’autre dans mes cheveux désordonnés en les tirant tout en faisant les cent pas dans ma chambre. J’ai l’impression d’être revenu dans l’état exact dans lequel j’étais à la mort du seul homme que j’ai jamais aimé. Damian… C’est lui qui aurait dû avoir une odeur si délicieuse ! J’en suis certain ! Cela ne peut pas être autrement… Je me sens si démuni… Si… si… Impuissant… J’ai horreur de cette impuissance qui me donne l’impression d’être revenu dans ces moments de souffrance et de solitude au sein de la mafia portuaire. Cette époque maudite qui a failli avoir ma mort. Je m’en suis sorti de justesse. Et, maintenant, vais-je m’en sortir ? Je le dois ! Je ne peux pas rester comme ça !
Il y a un moyen de te débarrasser de lui… définitivement !
Il suffit de ces quelques mots pour que je me porte mes mains à mes tempes, tirant mes cheveux au passage, immobile au milieu de la chambre. Les yeux fermés, je refuse de tout mon être de bouger d’une quelconque façon. Cela m’empêche de pousser un grognement qui, lui, aurait été la réponse du vampire que je suis devenu. Il est le seul à pouvoir toucher son… cette personne. Et encore ! Il ne veut pas lui faire de mal.



Je marmonne ces mots, ce qui ne me calme pas plus. Peut-être n’en ai-je pas l’air alors que je fais les cent pas à nouveau, mais c’est une véritable guerre ouverte dans ma tête et nous sommes trois à y participer. Ce doit être un miracle qu’il n’y ait aucun séisme dont je serais l’épicentre. A moins que je ne le ressente pas, justement parce que je suis celui qui le crée ? J’en sais rien. Ce que je vois, par contre, c’est que mes yeux sont d’un rouge auquel je ne m’habitue pas du tout. Je suis un danger quand je suis comme ça. Je vais devoir éviter de voir quiconque tant que je serais dans cet état. Un véritable retour dans le passé !

Je me stoppe, totalement tendu, alors que j’entends toquer à ma porte. Je me suis tellement concentré sur les voix dans ma tête que je n’ai pas fait attention au reste. Une bénédiction puisque j’ai presque oublié l’odeur de celui que j’ai amené. Mais, maintenant que je me concentre sur l’extérieur, je me demande si c’est vraiment une bonne chose. Je ne sens pratiquement que ça ! Heureusement, je suis encore relativement calme pour reconnaître Minhea par son odeur et sa voix quand il m’appelle. Reprenant mes cents pas qui vont finir par user le tapis, je lui réponds dans un grognement incontrôlé :



J’apprécie qu’il ne s’avance pas et, surtout, qu’il fasse barrage entre moi et l’autre que je pourrais à la fois tuer et protéger. A croire que je suis totalement dingue… Ah. Je dois vraiment l’être. Quoi qu’il en soit, j’en profite pour me poser sur le lit, face à mon neveu et reste silencieux.
Mais non ! Il aurait dû le tuer, comme ça tu aurais pu enfin être libéré !
Cette réponse du démon à l’annonce de Minhea me déstabilise une fois de plus alors qu’une seconde plus tôt j’étais extrêmement soulagé. Putain de saloperie ! Dire que je vais devoir rester avec lui pour l’éternité !! Pour tenter de le faire taire alors qu’il continue de râler, je me frappe la tempe avant de regarder de nouveau le vampire qui me demande des explications. Je grimace et, au prix de gros efforts, je tente de lui répondre :



Je ne fais clairement pas le fier. Un peu comme un enfant ayant fait une bêtise. Et il y a de quoi ! J’ai blessé une personne totalement innocente ! Je m’en veux et il n’y a rien en moi qui m’aide pour que je puisse faire le point de la situation ou me poser une seconde pour me calmer. Je suis juste en train de perdre la tête ! Je voudrais pouvoir fuir le plus loin possible et oublier ce qu’il s’est passé…

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Je ne réagis pas quand Minhea s’approche de moi. Je n’ai pas vraiment l’humeur ou la volonté de faire quoi que ce soit. Surtout en me battant aussi intensivement contre ce qui se dit dans ma tête. Je deviens complètement dingue à défaut de l’être déjà.
C’est bien ! Plus tu le seras, plus je sortirais.
Jamais ! Putain de… !
Je sursaute légèrement en sentant une main sur mon épaule et mon regard se porte sur mon neveu qui me regarde sans détour. Il n’y a aucune trace de colère dans son expression, ni de déception. Si je devais deviner ce qu’il ressent, je dirais qu’il s’agit de la même émotion que moi. Mais qui suis-je pour prétendre en être certain ? Je ne le connais pas assez pour ça. Je n’ai pas pris le temps de le connaître correctement et je m’en veux d’autant plus. Depuis que je le connais, il m’aide autant que cela lui est possible. Il m’a même sauvé la vie alors que rien ne l’y obligeait. Et moi, pour toute réponse à ses efforts, je suis resté égoïste et éloigné de tout ce qui aurait pu montrer ma gratitude. Je m’en veux…

Je m’en veux encore plus en ressentant un vif soulagement alors qu’il me parle de cet inconnu qui va s’en sortir puisque cela signifie que mes pensées sont encore bien loin de lui qui me soutient de toutes ses forces. Je me mords la lèvre inférieure et hurle mentalement sur le vampire en moi pour qu’il cesse de vouloir aller vers cette personne à tout prix. Personnellement, je ne le veux pas ! Je veux m’en détacher, ne jamais lui parler ou le croiser de nouveau une fois le lien brisé. Évidemment, la réponse du vampire est assez violente et provoque un mal de tête assez intense, d’autant plus que le démon y met son grain de sel en répétant son idée morbide. Je peux pas le tuer une bonne fois pour toute cet enfoiré de merde ?!!

Je comprends rapidement, une fois remis à peu près de mes maux alors que je ne l’ai pas lâché du regard, que j’avais raison en pensant qu’il ressent de la culpabilité. Il me l’avoue lui-même en se mettant lui-même comme responsable de ce qui est en train d’arriver. Sauf que je ne lui en tiens pas rigueur. Il ne peut pas penser à tout et, comme lui-même l’avoue, je n’étais pas en état. Je ne le suis toujours pas. La disparition de Damian m’affecte autant qu’il y a deux ans et j’aimerais vraiment pouvoir le revoir, passer au moins un peu plus de temps à ses côtés comme durant cette vie dont je n’ai que des bribes de souvenirs. Je soupire doucement et murmure rapidement en profitant du court silence qu’il laisse :



Il a voulu prendre en compte mon état émotionnel et il a bien fait. Je m’en serais d’autant plus voulu en n’ayant pas voulu l’écouter ou en l’envoyant balader par souffrance. Il ne mérite pas d’être traité comme ça et je sais que, malgré tout, j’en aurais été parfaitement capable…
Tu as tellement envie de l’envoyer balader. Je peux le faire à ta place si t’en es incapable~
Putain d’bâtard !!!!!

Minhea reprend ses explications concernant, cette fois ce lien. Je suis totalement surpris par ce que j’apprends, notamment par le fait que ce soit un des liens les plus importants qui existent pour un vampire. Je comprends également pourquoi je n’ai pas pu m’en empêcher. La raison paraît logique puisque c’est comme lorsque je crevais de soif et que j’étais prêt à vider tout le monde de leur sang sans me soucier de leur vie, peu importe que je les porte dans mon coeur ou pas. Je ne remercierais jamais assez ce gardien pour m’avoir empêché de prendre des vies. Par contre, mon expression se fait plus sévère, sans doute menaçante et énervée, alors que j’apprends que le lien est irréversible.
Je l’avais dit ! Il faut le tuer !
Sous l’impulsion de la colère du vampire contre les mots qui résonnent dans mon esprit, je tente de me lever en criant bien malgré moi :



Je n’arrive pas à me calmer. J’ai beau savoir d’instinct que je ne gagnerais jamais dans un rapport de forces, et m’en vouloir, je sens que j’ai envie de chercher la bagarre. Me défouler. Montrer que j’ai raison par la force. Une attitude dictée par le démon qui prend mes envies comme carburant et qui pousse sur mes barrières mentales pour me faire céder. De son côté, le vampire voudrait avoir recours à la violence pour m’obliger à rejoindre son calice et solidifier le lien pour ne plus jamais le perdre. La guerre totale dans ma tête m’empêche de voir clair et mon besoin de fuir la situation se fait de plus en plus forte. J’ai besoin de calme et de solitude pour calmer tout ce petit monde qui se tape continuellement dessus, mais j’ai également besoin d’aide.
De l’aide…
Je réalise après un instant ce que je suis en train de faire et, gémissant, je demande pardon à mi-voix, baissant la tête, donc en cachant mon regard rouge. Un vampire n’a pas besoin de dormir, mais je crois bien que je suis épuisé…

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Je m’en veux de lui avoir crié dessus, de le repousser alors que rien n’est de sa faute. Il n’y est pour rien. Et, mine de rien, il est là pour m’aider. Je n’ai donc pas le droit de passer mes nerfs sur lui. Sincèrement, je comprendrais qu’il me remette à ma place en me grondant, d’une manière ou d’une autre. Je ne lui en voudrais pas s’il venait à me laisser en plan pour revenir plus tard ou pour ne pas revenir du tout. Il n’a absolument aucune obligation et j’ai été des plus désagréables depuis que je suis de retour alors que je ne viens que pour demander de l’aide. Son aide. Je suis vraiment une horrible personne et je ne sais pas quoi faire pour me rattraper, à part m’excuser aussi pathétiquement que maintenant. C’est affreux… Je suis affreux.
Allez, avoue que tu voudrais lui mettre ton poing dans la gueule pour l’obliger à te comprendre~ Je peux t’aider si tu me laissais sortir~
Je vais tuer ce démon de merde !!

La main sur mon épaule descend vers mon poignet autour duquel ses doigts se referment. Puisqu’il a bougé de cette façon, je ne suis pas surpris par son geste, mais je n’en comprends pas vraiment la raison. Que se passe-t-il ? Pourquoi veut-il que je le suive ? Où ? Inquiet, presque affolé par l’idée, je me lève mais annonce avec autant de fermeté que possible, c’est à dire très peu :



J’ai vraiment peur de ce que je pourrais être capable de faire en étant face à cette personne dont je ne connais même pas le nom. Cette personne qui, pourtant, semble m’appeler. Cette personne vers laquelle nous nous dirigeons alors que je ressens la peur qui me prend de plus en plus à la gorge. Mais pourquoi diable m’emmène-t-il là-bas ?! Merde… Merde. Merde !
Laisse-moi donc lui faire comprendre~
Je traîne autant les pieds que possible, ne pouvant pas m’échapper pour fuir de l’autre côté du château, l’écoutant essayer de me convaincre que c’est le meilleur moyen pour que je sois en capacité de réfléchir. Il m’assure avoir bien compris que je ne veux pas de ce lien. Seulement, selon lui, il est nécessaire de me le mettre sous le nez cette chose que je ne veux pas pour me calmer. Pour moi, ce n’est pas logique du tout. Bon, c’est déjà rassurant de savoir qu’il ne me laissera pas seul. Mais quand même ! Je ne me sens pas bien à l’idée de m’en rapprocher. L’odeur est forte et je commence à ressentir à nouveau la soif. Putain ! Heureusement que ce putain de démon n’est pas celui de la goumandise !!
Nan, moi je suis l’envie, mais c’est du pareil au même~~ Je peux le manger pour toi si tu veux~~



Je suis vraiment mal à l’aise et je ne serais pas étonné que mes yeux soient encore extrêmement rouges. Je déglutit difficilement pour tenter de me défaire de cette gêne quand mon neveu me fait part qu’il a en sa possession une preuve que je n’aurais jamais pu être lié à Damian. Je secoue la tête, apeuré de connaître la raison. Je voudrais même me reculer, mais je suis déjà le plus loin possible. Alors, je soutiens son regard, m’attendant à tout sauf à ce qui vient. Mon expression se transforme en choc. Tout semble s’arrêter un moment autour de moi. Comment est-ce possible… ? Pourquoi ne l’ai-je pas senti ? Pourquoi l’odeur de Damian n’est pas plus forte que celle-ci ? Non… Je sais pourquoi… Mais, je ne veux pas.



Je ne l’ai pas senti et ça me désespère. S’il n’est pas la personne destinée à être mon calice, à passer sa vie à mes côtés, pourquoi étions-nous si désespérés à être heureux l’un avec l’autre ? Pourquoi avons-nous passé tant de temps à chercher un moyen à lier nos vies ? Pourquoi… ne puis-je pas être avec cette personne qui m’a tant donné… ?

Mes yeux brillent de larmes qui refusent de se montrer. Elles restent coincées dans mes yeux d’une manière extrêmement désagréable alors que je baisse la tête, toujours en proie au choc de cette nouvelle. Même le démon semble ne pas savoir quoi dire face à mon état d’esprit dénué de toute envie.

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Je voudrais être dans la capacité de ne pas nier tout ce que me dit Minhea. Être capable de l’accepter, de comprendre que tout cela n’est pas forcément une mauvaise chose. Pourtant, être séparé de cette manière de Damian, ne pas pouvoir être proche de lui… tout cela me fait du mal. Plus que je ne le voudrais. Sans lui qui était ma seule lumière dans toute cette obscurité qui ne semble pas vouloir me lâcher, c’est comme si je me noyais continuellement. Le démon ayant appuyé sur mon besoin d’être rassuré par les paroles encourageantes de ma lumière, je n’ai pas vraiment été aidé. Du moins, c’était difficile de laisser les autres le faire. Pourtant, j’aimerais pouvoir ouvrir mon cœur à ces personnes de confiance, les laisser me guider. Cela m’est seulement extrêmement difficile. J’ai si peur que cela les amène à perdre la vie, eux aussi. Ou… pire, si c’est quelque chose de possible. Je souhaite qu’ils ne soient pas pris dans la spirale infernale que je semble traîner partout derrière moi. Et fuir est le seul moyen que j’ai trouvé pour protéger toutes ces personnes qui m’ont offert une continuité à cette seconde chance. Sauf que, voilà, Damian est revenu. Ma lumière est revenue en ce monde. Je voudrais le retrouver, aller le chercher dans ce château immense. Pourtant, je suis trop choqué pour me débattre. A quel point me déteste-t-il pour ne pas vouloir se lier à moi ? Pourquoi ne puis-je pas être attiré par mon sang ? Si nous n’étions pas destinés l’un à l’autre, pourquoi m’avoir permis de lui faire une place si importante dans mon existence ? Pourquoi l’avoir mis sur mon chemin et m’avoir laissé l’attacher à ma vie ?

La tête toujours baissée, mon attention se porte partiellement sur Minhea, assez pour que je puisse écouter et comprendre ce qu’il me dit malgré mon état émotionnel déplorable et ma soif qui semble grandir à force que je sente cette délicieuse odeur qui masque tout le reste. Je ne sens même pas l’odeur de cette personne qui m’aide malgré mon caractère de merde… Je ne comprends pas pourquoi il me demande pardon. Je relève alors la tête pour le regarder avec ces yeux écarquillés qui sont les miens. Lui aussi, il me regarde. Et, plus que tout, il me donne plus d’informations concernant Damian, m’apprenant qu’il est devenu mon neveu, étant le fils de Stephanos, et que cela nous lie d’une autre manière. Je suis le premier à le savoir après lui qui me promet que tout ira bien pour cette personne qui m’est chère. D’une voix serrée et douloureuse, j’avoue en baissant de nouveau la tête :



Cela me fait si mal de l’admettre et je sens que je pourrais tout simplement m’effondrer. Je ne sais pas si c’est la fierté ou la peur qui m’en empêche, mais c’est pour ça que je tiens encore sur mes deux jambes. Je ne cherche plus à partir. Je suis juste immobile, démuni face à la situation. J’ajoute, toujours difficilement :



Je veux être sûr que ça, au moins, c’est clair pour tout le monde. Je souffre et je n’arrive pas à me remettre de tout ça. C’est pourquoi je veux me protéger d’une manière ou d’une autre de tout ce qui pourrait me faire du mal à l’avenir. Même si pour ça je dois me séquestrer moi-même pour ne pas impliquer une autre personne.

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Mon poignet est libéré de l’emprise des doigts de Minhea. Pourtant, je ne bouge pas. Moi qui voulait fuir depuis que je suis arrivé ici, je semble avoir complètement abandonné l’idée. A quoi bon fuir si, de toute façon, la personne que je voulais le plus voir se trouve sous ce toit et ne m’est pas destinée. Je me sens si mal que peu importe ce que je vais faire, ça ne m’apportera rien du tout. Tout ce que je peux espérer maintenant, c’est que cette personne qui est liée à mon existence ne me rejette pas, ne me blâme pas. Je ne sais pas si je saurais me tenir même après que tout se soit calmé et que je sois laissé seul avec lui. Même pour moi, je suis trop imprévisible pour me faire totalement confiance… Pourtant, mon neveu ne m’abandonne pas et tente de me rassurer à nouveau. Son soutien est réconfortant, mine de rien, même si je ne le mérite pas. J’ai si peur de ce qui va arriver lors de cette rencontre qui semble primordiale selon ses dires… Mais, pour lui montrer que j’ai bien compris et que je ne compte plus me défiler malgré mes peurs et mes doutes, je hoche doucement la tête.



C’est tout ce que je parviens à murmurer en ayant du mal à soutenir son regard à cause de mes propres émotions avant que la porte de la chambre ne s’ouvre. Une femme en sort, mais elle ne ferme pas totalement la porte. Heureusement que la main de Minhea est toujours sur mon épaule. Heureusement que quelque chose me retient. Cela m’amène à concentrer mon regard sur la femme puisque l’odeur qui sort de cette chambre semble encore plus forte depuis que la barrière de bois s’est ouverte. J’ai failli me ruer dans la pièce…

Pour essayer de me contenir un minimum, j’essaie d’écouter ce qui est dit. A vrai dire, c’est elle qui en dit le plus, nous en apprenant plus sur son état qui semble meilleur qu’avant. J’apprends également qu’il s’appelle Asera, bien que je ne comprenne pas encore vraiment ce qu’est un Tahuan. Enfin, j’imagine que je ne pourrais pas comprendre ce qu’il va dire sans le traducteur. Je porte une main à la poche de mon pantalon par automatisme à cette pensée et note qu’il est bien là. Il m’a vraiment été très utile pendant ce voyage de deux ans…
La nouvelle que je ne puisse pas utiliser mes capacités à ses côtés me laisse un avis partagé. Autant j’ai l’impression que je vais de nouveau être impuissant face aux dangers, autant je me rends compte que le démon est beaucoup plus calme depuis que nous sommes devant cette chambre. Suis-je en danger à cause de ça… ou pas ?

Lorsqu’elle termine son résumé de l’état de mon calice, je demande si son œil a pu être sauvé. La réponse me laisse un goût des plus amers en bouche. C’est ma faute et je ne peux absolument rien faire pour réparer ça. Le pire est que ma culpabilité risque d’être juste balayée du revers de la main aussi facilement que j’ai eu à le blesser… Pourtant, je n’ajoute rien du tout et laisse cette femme s’en aller. Minhea prend le relais en me demandant si j’ai le traducteur sur moi. Je le sors alors de ma poche et le lui tend en m’accrochant à peine à lui. Je me force ainsi à ne pas bouger alors que mon regard se fixe sur la porte, rouge sans qu’il parviennent à reprendre leur couleur d’origine. De plus en plus, j’ai l’idée fixe de passer le pas et entrer pour voir cette personne, comme si mes craintes n’avaient jamais existé. Le pire est sans doute que je ne m’en rends pas compte. Tout ce que je fais, c’est attendre, immobile, humant cette odeur à chaque inspiration. J’ai beau avoir appris que je ne suis pas obligé de respirer, j’ai gardé cette habitude sans pouvoir m’en défaire. Pourtant, à l’heure actuelle, chaque nouvelle respiration me donne plus soif et plus envie de faire mien mon calice. L’attacher à moi sans lui laisser son mot à dire. Tout le contraire de ma véritable volonté.

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Je ne m’attendais pas du tout à ce que Minhea veuille connaître le reste et, pire que ça, me faire profiter de la chose alors que je ne suis clairement pas en état d’en savoir plus. Sérieusement, comment veut-il que je ne prenne pas la poudre d’escampette si je dois faire face à plus de culpabilités. Je ne supporte pas cette sensation et, surtout, je ne sais pas du tout comment le gérer. Et, pour couronner le tout, ce n’est plus lui qui me tient, actuellement. Alors il suffit que je le lâche pour que je laisse mes jambes m’emmener loin de là. Je ne veux pas faire face à des reproches, surtout d’une personne vers qui je suis attiré pour le vider de son sang. Je vais devenir fou !

Et le pire c’est qu’elle lui répond ! Apparemment, je suis coupable de deux autres blessures dont une dont je ne suis pas certain de comprendre l’importance. Mais vu que ça concerne la tête, ça ne doit pas être sans importance. Par contre, ce qui me déplaît malgré moi, qui me fait gronder sans que je puisse m’en empêcher, c’est qu’il a été blessé avant ça. En fait, je suis également coupable d’avoir potentiellement aggravé des blessures déjà existantes en plus de lui en avoir fait des nouvelles. Je suis mitigé, mais, une chose est sûre, c’est que je n’ai de nouveau plus l’envie de lui faire face alors que mon côté vampire a l’envie viscérale de l’approcher, que ce soit pour prendre soin de lui ou le bouffer. Qu’importe la raison, nous sommes de nouveau en dualité et ce n’est clairement pas bon. Ca va mal se terminer cette putain d’histoire !! De sorte à ce que seules une ouïe vampirique soit capable de m’entendre, ne pouvant pas faire plus bas, je marmonne :



Avant que je puisse lâcher Minhea, j’entends mon nom être prononcé. Je lève donc mon regard carmin sur la femme qui me recommande la prudence puisqu’il semble que cette personne soit du même accabit que moi. C’est… assez étrange de se faire entendre que même en tant que vampire je suis aussi dangereux qu’un humain. Cela ne rend pas les choses plus faciles pour moi qui ait toujours peur de me sentir démuni, inutile et impuissant face à une situation ou une autre. Je ne veux plus me retrouver dans le genre de situation dont on m’a extirpé de justesse ! Pourtant, là, je suis juste lié avec une personne qui pourrait me le faire ressentir encore plus que maintenant. … A quel point la situation doit être merdique pour qu’on soit satisfait, au juste ?!!

Je crois que je n’ai pas écouté les autres conseils de cette femme, bien trop dans la dualité. Je reste immobile, silencieux, mais je crois que je suis sur le point de faire une connerie. Heureusement, au moins, je ne pars pas aussi loin que mes capacités pourraient me le permettre. Je ne fais pas la connerie de rendre les efforts de Minhea vains. Et je ne vais pas tuer cette personne non plus. Quoi que, ça ne devrait plus tarder, je pense.

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

La dualité semble me rendre totalement dingue. Je ne sais pas si je vais parvenir à tenir mes résolutions pour arranger la situation et si, à la place, je ne vais pas empirer les choses. Heureusement, Minhea est à côté de moi et est assez attentif pour remarquer mon état. Je m’en veux de lui ajouter du poids sur les épaules, mais dans mon état actuel sa main sur mon épaule et son assurance sont très appréciés. Doucement, je me détends à ce contact et la dualité semble se dissiper légèrement. Très légèrement en comparaison avec la chute libre de celle-ci alors que je vois mon calice apparaître à la porte après que mon attention ait été attirée par un bruit sourd. Mon regard a beau être toujours rouge et ma soif assez forte, je ne bouge toujours pas. Mes pensées semblent s’être stoppées. Totalement. Le vampire que je suis ressent un soulagement assez grand de voir cette personne debout, bien qu’elle se tienne visiblement à la porte de la chambre. Quant à moi, je ne sais juste pas quoi faire. Je suis tétanisé face au fait accompli. Les idées de le vider de son sang et de le tuer m’ont totalement désertées, comme si je n’en avais plus l’utilité. Seul le désir de le protéger de toutes mes forces m’envahit et, bien que ce soit extrêmement déroutant, je ne trouve pas cette sensation familière désagréable. Un peu comme si je retrouvais une partie de moi-même dans un sens.

Lorsque son doigt se pointe sur moi, je me fige un peu plus le temps d’une seconde en cessant enfin de respirer, craignant ce qui va suivre. Je m’attends à des reproches, un blâme, du rejet, des insultes… mais ce qui vient c’est une demande de confirmation. Je pourrais facilement répondre “oui” à la première question mais…



J’ai demandé ça un peu malgré moi, d’une voix lourde de surprise. Je n’en reviens pas puisque je n’en ai pas le moindre souvenir. De plus, est-ce vraiment tout ce dont il se rappelle ?! Voulant remettre chaque chose à sa place, tendu, je précise assez vivement à cause de toutes mes émotions malgré la sensation de ne pas faire quelque chose de bien pour la santé de cette personne :



Avec ça, peut-être aurais-je le droit à une réaction normale, bien qu’elle me fasse toujours aussi peur. Devrais-je être rassuré qu’il ne semble pas m’en vouloir ? Non. Pas vraiment. Mais je ne peux pas non plus me sentir bien face à un calme aussi étrange alors que tout dans cette situation démontre que quelque chose ne va pas. Et pas qu’une quand on y regarde de plus près.

A Ananéosi, dans la maison familiale des Pyrrha, le 24 janvier 4373

Aucune réaction “normale”. Aucun blâme. Aucun reproche. Aucune réaction qui puisse montrer que la situation lui déplaît, ou que ma présence l’insupporte. Comme s’il acceptait tout ce qui lui était arrivé avec une facilité que je ne peux pas comprendre. Après tout, je n’accepte pas qu’il ait pris la place de Damian, que je ne puisse plus me détacher de lui et que, finalement, toutes les épreuves qui ont été les nôtres reposent sur des mensonges. Cet enfant a beau être de ma famille, ce n’est pas en tant que neveux que je le voulais. Ce n’était pas de cette manière… Je sais que je ne peux rien changer malgré mon opposition totale. Pourtant, le savoir ne m’aide pas à l’accepter. Comment cela peut-il être si simple pour lui alors qu’il est la victime du monstre que je suis ? Pas en tant que vampire… Je n’en voudrais jamais à Minhea de m’avoir donné une occasion de vivre un peu plus longtemps. Non, j’étais un monstre bien avant ça. Je le suis devenu en ayant les mains salies par le sang des autres et en étant possédé par un démon face auquel je ne peux pas tenir longtemps, surtout sans ces barrières physiques qui m’ont été imposées. Cela rend sa réaction d’autant plus mystérieuse, incompréhensible. Ah… A moins que ce ne soit que ses blessures et la fatigue qui l’empêchent de réagir d’une manière que je pourrais comprendre un peu plus ? Oui, mettons ça sur le compte de son état de santé. C’est tellement plus simple à comprendre.

Mes sourcils se froncent alors qu’il semble nous voir comme un peuple… stupidement violent et forceur. Dans un sens, je voudrais lui dire que c’est le cas après tout ce que j’ai vécu et la souffrance dont j’ai été le témoin. Pourtant, c’est impossible puisque dans le lot il y a cette famille qui est la mienne et qui ne fait de mal à personne d’autre qu’à ceux qui s’en prennent aux leurs. J’aimerais lui répondre, mais il me coupe la parole pour le mieux. Sans doute aurais-je été acerbe en disant ce que je pense. Et le problème qu’il soulève touche un point de ma nature avec lequel j’ai encore du mal à composer.



Ces mots murmurés, cette personne liée à moi ne peut sans doute pas les entendre tant je parle bas. Mais je sais que Minhea le peut. Je me doute de ce qu’il pourrait me répondre, notamment que sa question est légitime, surtout s’il ne connaît rien de ce que nous sommes tous les deux. Je ne sais simplement pas comment je pourrais lui expliquer les choses dans l’état actuel des choses. Je vois qu’il ne va pas bien. Me lancer dans de grandes explications pourrait seulement l’assommer plus que les médicaments qu’on a pu lui faire prendre pour qu’il ait moins mal. … Attends un peu. Pourquoi est-ce que je m’en soucis, exactement ?! Qu’est-ce que j’en ai à foutre de s’il m’écoute ou pas ?! Et… Pourquoi suis-je si calme maintenant qu’il est face de moi ? Je n’entends plus l’autre bâtard et la fracture qui me semblait si évidente entre mes pensées contradictoires me paraît désormais inexistante. Au point que, lorsque je le vois s’écrouler sur le sol, ma première réaction est de m’avancer d’un pas en ressentant une vive inquiétude. Mais… Non, elle ne peut pas m’appartenir. Je ne le connais pas et je sais qu’il n’est pas en danger de mort. Il va relativement bien. …. N’est-ce pas ? Pourtant, l’inquiétude me serre le ventre et me donne très envie de le prendre dans mes bras pour l’allonger dans le lit. Est-ce vraiment “normal” ?! C’est tellement décalé avec ma volonté de me détacher de lui ! Je grimace sans savoir quoi dire ni quoi faire. Je réfléchis un moment avant de répondre à une de ses interrogations, pensant que je ne peux pas rester éternellement silencieux non plus :



Est-ce que j’ai bien dit les choses ? Est-ce que je les ai bien comprises ? Bon, ce n’est plus tout à fait vrai. Comme je suis plus calme, je peux sentir un peu plus de choses, comme l’odeur de Minhea à côté de moi, la fragrance de la femme qui est partie qui semble s’éterniser un peu. Son odeur à lui reste quand même celle qui me vient majoritairement comme pour me dire que je ne pourrais jamais m’en détacher. Ca me fait râler assez fort pour que cet homme puisse m’entendre :



Pourquoi est-ce que ça m’énerve autant qu’il nous prenne pour des sortes de barbares ? Pourquoi est-ce que je veux le plaquer quelque part pour qu’il ne voit que moi et comprenne que… Non !! C’est mort, je vais beaucoup trop loin ! Et c’est à cause de ces pensées que je ne peux pas m’approcher de lui. Je ne peux pas le laisser là… mais je ne peux pas me laisser aller non plus.